D’après le site officiel de collecte de fonds pour le canal sur la Rivière des Massacres à Ouanaminthe, des contributeurs haïtiens et étrangers ont versé pour l’initiative près d’un demi-million de dollars américains et presque 43 millions de gourdes.
L’argent restant aujourd’hui ne sera pas suffisant pour finaliser les travaux de construction, selon le comité.
Cependant, des documents non publics obtenus par AyiboPost soulèvent des questions sur les dépenses déjà effectuées par le comité, sept mois après son entrée en fonction.
Par exemple, l’entrepreneur et pasteur Moïse Joseph est le membre du comité à avoir effectué la grande majorité des dépenses importantes dans le cadre de la construction du canal. Son nom est associé à une centaine de transactions majeures, selon les documents obtenus par AyiboPost.
Parfois, Joseph est bénéficiaire direct des dépenses puisqu’il possède une compagnie œuvrant dans le domaine de la construction.
Moïse Joseph admet à AyiboPost que son entreprise «vend des services» au comité du canal, ce qui semble représenter un conflit d’intérêts flagrant. Selon Joseph, son entreprise sert le projet même lorsqu’il n’y aurait pas de moyens financiers disponibles.
Le relevé sommaire des dépenses qui couvre la période qui s’étend entre le 19 septembre 2023 et le début de l’année 2024 démontre la distribution à des groupes de journalistes de sommes allant parfois jusqu’à 150,000 gourdes pour frais de reportages et «gratifications».
Des membres du comité se sont «gratifiés» des montants allant de 25,000 jusqu’à 120,000 gourdes jour (pour quatre jusqu’à dix personnes). Des policiers payés normalement par l’État ont reçu des dizaines de milliers de gourdes du comité.
La Brigade de Sécurité des Aires protégées (BSAP) collecte ses propres fonds, mais les documents en possession d’AyiboPost attestent plusieurs virements s’élevant à des centaines de milliers de gourdes à la structure. Ces montants sont versés pour le service de surveillance, confirme à AyiboPost le trésorier du comité, Gaston Étienne.
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Les dépenses totales enregistrées jusqu’au 25 avril 2024 s’élèvent à plus de 101 millions de gourdes, confirme Michèle Adrien, une personne proche de la commission de finance du comité assistant à la plupart des réunions. Le mari d’Adrien, Gaston Etienne, est le trésorier du comité.
Cependant, d’après Moïse Joseph, la balance restante ne peut pas assurer la finalisation des travaux.
Le citoyen Michel Hilaire collecte de l’argent pour l’initiative au Canada à travers le «Mouvman Kanal la Pap Kanpe» (MKPK).
Le 1er janvier cette année, il distribue 2 500 dollars US à des «journalistes, etc.» d’une somme de 10 000 dollars américains destinés au comité du canal, indique une liste de dépenses en dollars obtenue par AyiboPost.
Hilaire n’a pas répondu aux demandes de commentaires avant publication. La liste des journalistes payés n’est pas publique non plus.
L’idéal «konbit» avec des contributions d’entrepreneurs pour une cause nationale prend de la nuance dans le document préliminaire des dépenses pour la construction du canal.
L’opérateur de l’excavatrice coûte, à lui seul, au moins 200 dollars américains par jour au comité.
Les frais de location et de maintenance de la pelleteuse s’élèvent à au moins 46 500 dollars américains, d’après les documents.
Le 1er janvier cette année, il [Hilaire] distribue 2 500 dollars US à des «journalistes, etc.» d’une somme de 10 000 dollars américains destinés au comité du canal.
Le nom d’un membre du comité, Moïse Joseph, a été associé à celui d’un certain Henri Claude Audate dans un scandale de vol de gabion sur le chantier. Selon les documents, 200 000 gourdes ont été débloquées le 20 mars 2024 pour rémunérer un cabinet d’avocats dans le cadre de cette affaire.
Joseph Moïse confirme à AyiboPost qu’un cabinet d’avocats a effectivement été engagé pour défendre cette cause qu’il estime avoir été initiée par des mains politiques pour ternir son image.
Guillaume Josaphat fait partie du comité. Il est l’un des initiateurs du mouvement ayant abouti à la reprise des travaux de construction du canal en août 2023.
Josaphat a géré des comptes bancaires et les premières contributions avant l’installation du comité le 19 septembre 2023.
Michèle Adrien, proche de la commission de finance, reproche à Josaphat de n’avoir toujours pas donné un rapport détaillé – en dehors d’une liste de dépenses sans factures – de sa gestion.
À AyiboPost, Josaphat rejette les accusations. Ce sont, d’après lui, des «tractations politiques».
La firme technologique haïtienne HtiPay Inc collecte des fonds pour le canal et donne des mises à jour en temps réel sur la plupart des transactions.
Des voix s’élèvent en ligne pour demander un rapport détaillé de l’argent reçu et des dépenses effectuées.
Selon l’informaticien Haveson Florvil, responsable de HtiPay, le manque de connaissance technique des membres du comité serait l’une des causes qui entravent ce travail de reddition des comptes.
En plus, il existe un problème d’assignations de rôles et un jeu d’influence entre des membres du comité, poursuit Florvil qui participe parfois aux réunions de la structure.
Des voix s’élèvent en ligne pour demander un rapport détaillé de l’argent reçu et des dépenses effectuées.
Dans une interview accordée à AyiboPost en novembre 2023, la porte-parole du comité, Wideline Pierre, avait évoqué son insatisfaction pour le monitoring des dépenses «peu détaillé» disponible sur le site HtiPay.
Pierre souhaite un rapport détaillé susceptible d’être présenté à la presse.
«Je ne gère pas l’argent du canal, mais cette question de rapport est un tourment pour moi qui parle au nom du comité», avait-elle déclaré. «Parfois, j’ai même pensé à remettre ma démission».
Contactée par AyiboPost, la commission de la trésorerie dit avoir consenti des efforts pour rendre effective la traçabilité des transactions.
Cela n’empêche pas qu’un membre de ladite commission souligne des erreurs techniques comme des dépenses non enregistrées et parfois l’écriture d’une transaction plusieurs fois.
Certains membres du comité utilisent l’initiative pour se construire un capital politique, selon plusieurs sources au courant de ces manœuvres.
D’après le document intitulé «sommaire des dépenses», le 11 octobre 2023, la porte-parole du comité, Wideline Pierre, avait obtenu le décaissement de 150 000 gourdes pour 30 journalistes couvrant pour leurs médias la construction du canal.
La déontologie interdit à un journaliste d’accepter de l’argent des sources et sujets de son travail. Mais Pierre soutient que c’était une décision adoptée par tout le comité.
Je ne gère pas l’argent du canal, mais cette question de rapport est un tourment pour moi qui parle au nom du comité. Parfois, j’ai même pensé à remettre ma démission.
─ Wideline Pierre
Entre les mois d’octobre et de novembre 2023, une quinzaine de journalistes dont les noms sont mentionnés clairement dans la liste des dépenses avaient reçu 5 000 gourdes de «gratification» de la part du comité. Il n’est pas clair si ces versements se poursuivent aujourd’hui.
Plusieurs sources de collecte de fonds existent.
Plus de 100 dépôts ont été effectués totalisant une somme de 143 362,35 dollars US sur le compte bancaire du comité à l’UNIBANK, indique un des documents obtenus par AyiboPost.
Une trentaine de dépôts sont enregistrés sur le compte en gourdes à l’UNIBANK totalisant 7 439 987,06 gourdes.
Les dons en nature sont évalués à environ quinze millions de gourdes, selon la comptabilisation faite par les responsables de HtiPay.
D’après Michèle Adrien, le responsable de HtiPay, Florvil, ne voulait pas partager les données spécifiques concernant les sommes collectées sur la plateforme en ligne.
De son côté, Haveson Florvil déclare à AyiboPost que le comité dans son ensemble n’a jamais manifesté une volonté réelle pour produire un rapport détaillé.
«L’équipe de Htipay va contraindre les membres du comité à rendre public le rapport. On peut bloquer leur accès et toutes les transactions sur la plateforme», menace Florvil.
Il faut noter que les relations entre la plateforme de collecte d’argent et la construction du canal ont évolué à travers le temps.
Au début, HtiPay s’était inscrit dans une démarche de solidarité en mettant disponible gratuitement son système informatique pour le projet de construction du canal.
Cependant, à partir du premier janvier, HtiPay réclame des frais sur chaque transaction et exige un montant pour chaque service demandé par le comité, confirme Haveson Florvil.
Le comité dans son ensemble n’a jamais manifesté une volonté réelle pour produire un rapport détaillé.
─ Haveson Florvil
Le comité a déjà versé 150 000 gourdes à HtiPay pour un système de création automatique des rapports, confirment les deux parties à AyiboPost.
Haveson Florvil a soumis une première partie du rapport au comité pour la période allant du 1er septembre 2023 au 15 janvier 2024 et une deuxième allant du 16 janvier 2023 au 31 mars 2024, constate AyiboPost.
Un autre rapport devrait être soumis pour la période du 1er au 30 avril 2024, indique Haveson Florvil.
Selon Michèle Adrien, une personne proche de la trésorerie, le rapport découlant de la plateforme HtiPay soumis par Haveson Florvil est truffé d’erreurs.
«Ce rapport n’est pas conforme à la nôtre. Il n’est pas fiable. Il sera mis de côté. La trésorerie travaille pour finaliser son rapport afin de le présenter au public incessamment», soutient Adrien.
Certains membres du comité ne souhaitent pas que tous les détails sur les dépenses soient révélés dans le rapport public, d’après les interviews réalisées par AyiboPost.
Ce rapport n’est pas conforme à la nôtre. Il n’est pas fiable. Il sera mis de côté. La trésorerie travaille pour finaliser son rapport afin de le présenter au public incessamment.
– Michèle Adrien
Ce dossier, ainsi qu’un voyage de la porte-parole, Wideline Pierre, en France en janvier dernier pour participer à des rencontres avec la communauté haïtienne, crée des tensions, selon d’autres membres du comité.
À son retour dans le pays, Wideline Pierre ne voulait pas présenter au comité un rapport de son passage en France, arguant que c’était «un voyage personnel», informe une source d’AyiboPost au niveau du comité. Cette version des événements est confirmée par Pierre.
La guerre froide se poursuit. Depuis le mois de février à nos jours, Wideline Pierre ne participe plus aux réunions du comité, informe Guillaume Josaphat.
Wideline Pierre évoque la délocalisation du lieu des rencontres à Ferrier comme la raison de son absence parce qu’elle s’inquiète pour sa sécurité.
En parallèle, une rivalité pour les retombées politiques de la construction du canal existe entre la porte-parole Wideline Pierre et le coordonnateur Moïse Joseph, selon plusieurs témoignages et l’admission d’un des concernés.
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En attendant une décision finale sur la diffusion ou non d’un rapport détaillé des dépenses du comité, plusieurs structures et personnalités continuent d’encaisser des fonds pour la construction du canal. Normalement, elles devraient rendre des comptes au public. Mais rien n’indique si elles le feront.
Note de la rédaction : Selon la ligne 939 du « sommaire des dépenses » une somme de 1 500 dollars américains a été versée à un certain Pierre Wilfrid. La ligne descriptive mentionne « 1500 dol. Us/comité par Berthrude Albert US ». Albert de l’organisation P4H a pris contact après publication avec AyiboPost pour expliquer que la somme a été donnée au comité par un pasteur dans le cadre d’une fête de Noël organisée par P4H. Wilfrid ne fait pas partie de P4H, selon Albert. Deux membres du comité contactés après publication n’ont pas donné de détails sur l’usage fait avec l’argent. La ligne 951 parle d’un « don de (P4H) à agents BSAP 700 dol US ». Toujours selon Albert, cet argent a été transféré directement au BSAP par P4H. Il n’est pas clair pourquoi le comité l’a ajouté dans son sommaire de dépenses. 18.37 7.5.2024